Stop aux idées reçues sur le management !

27/07/2023
Idée reçue
Olivier Sibony, consultant et professeur de stratégie à HEC, est convaincu que le management ne s’apprend pas uniquement par la pratique : « Les théories et études des chercheurs en la matière sont aussi très utiles. Mais, en général, peu connues des managers car ces derniers manquent souvent de formation, qui est pourtant indispensable ! La vision moderne du management repose sur une vraie démarche scientifique ».

Le livre d’Olivier Sibony, consultant et professeur de stratégie à HEC, « Vous allez redécouvrir le management ! » est sorti cette année en édition augmentée, rassemblant une quarantaine de conseils pour lutter contre les préjugés en la matière, afin d’améliorer les méthodes managériales. Voici cinq cas de figure édifiants qu’il analyse pour Courrier Cadres, du brainstorming aux open spaces en passant par le travail hybride, les entretiens de recrutement et l’importance de la qualité du management.

Chacun des quelque quarante chapitres part d’exemples concrets qui sont traités à partir des résultats scientifiques, synthétisés de manière accessible. Et ils se terminent par de nombreuses références de livres et études de chercheurs pour aller plus loin.

Les limites du brainstorming

Olivier Sibony est catégorique : « Quand on veut générer des idées, on organise un brainstorming, mais, en réalité, ça ne marche pas ! C’est une évidence pour les chercheurs, pas pour les managers… » Dans la partie de son ouvrage intitulée « Grandeur et misères du brainstorming », il écrit : « De nombreuses vérifications expérimentales ont conclu que la réunion de plusieurs personnes sous forme de brainstorming génère moins d’idées que les mêmes personnes travaillant séparément. La qualité des idées, même si elle est évidemment plus difficile à évaluer que leur quantité, n’est généralement pas non plus considérée comme meilleure quand elles émanent d’un brainstorming. Il faut souligner que la masse d’études qui arrivent à cette conclusion est considérable ».

Pourquoi le brainstorming ne fonctionne-t-il pas ? Voici la réponse développée au fil des pages : « Schématiquement, c’est le résultat de trois facteurs qui se combinent. D’abord, un effet mécanique : quand dix personnes sont dans une salle, il n’y en a qu’une qui peut parler à la fois, ce qui réduit la productivité horaire. Ensuite, un effet d’autocensure : même quand les instructions suggèrent le contraire, certains participants peuvent hésiter à exprimer leurs idées en groupe et à haute voix. Ce sont surtout, justement, les idées les plus créatives qui risquent d’être étouffées, ce qui nuit à la qualité du résultat. Enfin, dans tout effort collectif, le risque existe d’embarquer des passagers clandestins : quand on est invité à participer à un brainstorming, on ne donne pas forcément le meilleur de soi-même. On peut même être tenté de penser à autre chose et de laisser les autres faire le travail. »

Olivier Sibony évoque les méthodes plus modernes de créativité comme le brainwriting, avec des post-it, par exemple, et conclut le chapitre ainsi : « Oubliez le brainstorming oral traditionnel : écrivez ! »

L’épineuse question des open spaces

Autre exemple de conflit entre la pratique et la théorie : les open spaces, qui auraient de grandes vertus organisationnelles mais Olivier Sibony prend le contre-pied : « On connaît les difficultés liées à ce type d’environnement de travail et pourtant les entreprises continuent d’abattre des cloisons pour libérer la communication, fluidifier les relations humaines, créer des rencontres fortuites, de la fertilisation croisées afin de susciter l’innovation. Or les rares études qui existent à ce sujet montrent que, dans ce contexte, les gens communiquent moins en face à face et plus par e-mails. Car ils veulent éviter de faire du bruit et déranger les autres en discutant à voix haute. De plus, ils doivent mettre un casque sur les oreilles pour se concentrer. »

Dans le chapitre de son livre, « Bureaux ouverts, communications fermées ? », il cite l’étude de deux chercheurs de Harvard sur deux entreprises avant et après la transformation des bureaux traditionnels en open spaces : « Le résultat est sans appel : trois mois après la mise en place des open spaces, la communication face à face a chuté de 72 %. Le volume de communication par e-mail et message instantané grimpe en revanche en flèche, augmentant de 56 % et 67 %. » C’est donc l’inverse du but recherché… Et Olivier Sibony poursuit : « Comme le notent ironiquement les auteurs, les humains ne sont pas des éléments chimiques qu’il suffirait de rapprocher dans des conditions optimales de température et de pression pour produire la réaction attendue. »

Du bon usage du travail hybride

Olivier Sibony constate que, si certains DRH veulent limiter le télétravail par crainte d’une perte de productivité, pour l’instant, les données scientifiques dont on dispose suggèrent que les gens travaillent davantage et sont plus productifs en télétravail. Dans son ouvrage, il dresse une typologie des tâches télérobustes et téléfragiles (comme collaborer à distance sur des projets innovants), qui rejoint « une distinction bien établie en théorie des organisations : celle de James March opposant exploitation et exploration. L’exploitation, c’est l’optimisation de l’existant, la recherche de productivité à court terme. L’exploration, c’est le développement d’idées ou d’activités nouvelles, initialement moins rentables, mais indispensables pour l’avenir. »

Outre la nouveauté pour les organisations, le travail hybride est un défi pour les managers, rappelle Olivier Sibony : « Le manager hybride doit être un leader serviteur qui aide les équipes à réussir et crée la confiance nécessaire pour qu’on n’hésite pas à faire appel à lui. »

L’importance cruciale d’un management de qualité

« Les entreprises ne sont pas conscientes des bénéfices qu’elles auraient à avoir de meilleurs managers, dont le rôle et le travail ne sont pas assez valorisés alors que c’est grâce à eux que la productivité progresse, regrette Olivier Sibony. Il existe une réelle corrélation entre les pays les plus productifs et ceux où le management s’avère de qualité. En tête du palmarès, figurent les Etats-Unis et les pays scandinaves, la France ne se trouvant que dans la seconde moitié du classement. » Il s’appuie sur l’étude de Nicholas Bloom et John Van Reenen qui ont montré que les différences dans les pratiques de management suffisent à expliquer environ un quart des écarts de productivité, entre firmes et même entre pays.

Pour Olivier Sibony, il y a un autre atout capital lié à la qualité du management : « C’est le principal facteur de satisfaction des équipes et de rétention des collaborateurs, d’autant plus dans le contexte actuel de tensions sur le marché du travail, favorable aux candidats… »

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