Fonction Publique : les réticences à exercer des fonctions managériales se multiplient elles ?

25/03/2025
Le management public fut longtemps perçu comme une consécration sociale et professionnelle. Mais ce modèle semble aujourd’hui s’essouffler. Les réticences à exercer des fonctions managériales se multiplient, et ce constat interpelle les DRH et les responsables politiques sur la mutation des attentes des agents publics. Pourquoi le management est-il désacralisé ? Quelles nouvelles formes de réussite professionnelle s’imposent dans la fonction publique ?

Un poste de manager, mais à quel prix ?

Le management dans la fonction publique s’est historiquement construit autour d’une reconnaissance statutaire et hiérarchique. Or, les réalités du terrain rendent cette reconnaissance de plus en plus relative : surcharge de travail, responsabilités accrues sans moyens humains ou financiers adaptés, pression politique ou médiatique, complexité croissante des réglementations... Autant de facteurs qui alimentent la désaffection pour les postes d'encadrement.

Ajoutons à cela l'évolution des aspirations professionnelles : l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle devient une priorité, et le management est souvent perçu comme un sacrifice sur ce plan. La responsabilité n’est plus nécessairement synonyme de reconnaissance sociale. De plus, la fonction publique souffre d’une stagnation salariale relative, où les postes d’encadrement ne garantissent pas de progression rémunératoire proportionnelle aux efforts consentis.

Préférer le dossier au collectif : une évolution silencieuse

Un phénomène marquant est la préférence croissante des cadres pour des fonctions expertes sans encadrement. Le travail sur dossier, l’analyse, la stratégie de politique publique ou la gestion de projets ponctuels sont autant d'activités recherchées, car elles permettent d’exercer des responsabilités sans avoir à assumer les tensions inhérentes à l’encadrement direct. En clair, exercer des fonctions de niveau élevé sans être chef.

Cette tendance reflète une mutation profonde dans la représentation de la réussite : il ne s'agit plus de "diriger des équipes", mais de "piloter du sens". On pourrait citer, à titre d’exemple, les postes de chargés de mission transversaux, ou les experts juridiques dans les collectivités territoriales, souvent porteurs de stratégies sans lien hiérarchique.

Unbossing : vers un leadership sans domination

Le concept d'"unbossing", issu d'une étude britannique et popularisé par certaines entreprises innovantes, prône un leadership inspirant, fondé sur la confiance, l’autonomie et la co-responsabilité. Cette approche, encore très marginale dans la culture administrative française, résonne néanmoins avec les attentes d’une nouvelle génération de cadres publics en quête de transversalité, de sens et de relations moins hiérarchiques.

On ne veut plus "être le chef", mais être utile, être écouté, avoir de l’impact. Cela suppose une réinvention du rôle du manager public, centré sur l’animation, la mise en mouvement des collectifs, la facilitation, plutôt que la supervision hiérarchique.

Des carrières hors encadrement : la nouvelle donne

L’existence de carrières riches et reconnues en dehors de l’encadrement se développe lentement, mais sûrement. Les missions temporaires, les fonctions d’audit, de conseil, ou les expertises techniques et juridiques gagnent en visibilité et en attractivité.

Mais ce phénomène pose aussi la question de l'équilibre entre encadrants et non-encadrants, et celle d’une possible fracture sociale interne : ceux qui ont la "charge" humaine, relationnelle et juridique d’être manager, et ceux qui s’en affranchissent tout en conservant une réelle influence et une certaine tranquillité opérationnelle.

Vers un management désacralisé ?

Oui, le management est désacralisé dans la fonction publique. Ce n’est plus un graal, mais un choix, parfois contraint. Cette désacralisation n’est pas nécessairement négative : elle peut ouvrir la voie à des parcours plus diversifiés, à une remise en question des pratiques autoritaires, et à l’émergence de collectifs de travail plus horizontaux.

Mais elle suppose une transformation profonde de la gestion des ressources humaines : reconnaissance de la fonction managériale, accompagnement renforcé, capacité à redonner du désir de manager, et refonte des parcours professionnels pour valoriser toutes les formes de responsabilité. Il serait pertinent de renforcer les dispositifs de formation managériale, d’instaurer des temps de respiration pour les encadrants et de mieux reconnaître, y compris symboliquement, leur engagement quotidien.

Le désintérêt croissant pour les fonctions d’encadrement dans la fonction publique témoigne d’une mutation culturelle profonde. Il ne s’agit pas d’une crise de l’autorité, mais d’une redéfinition des modalités de l’exercice du pouvoir. Le manager de demain sera peut-être moins un chef qu’un facilitateur, un animateur de sens collectif. Encore faut-il que les institutions s’adaptent à cette révolution silencieuse, en valorisant toutes les formes de leadership, y compris celles qui ne passent pas par l’encadrement.

Pour l'association www.naudrh.com, cette évolution m'apparaît saine, à condition qu'elle soit accompagnée. Le management n'est plus une fin en soi, mais un moyen d'agir. C'est une belle opportunité pour redonner du sens au service public. Mais attention à ne pas créer une fonction publique à deux vitesses : ceux qui dirigent et s'usent, et ceux qui s'engagent autrement, mais sont mieux préservés.

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